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Entretien avec Stéphane Robert, association CRICAO
Propos recueillis par :
Mariette Si bertin-Blanc,
Maître de conférences en Aménagement et Urbanisme, membre du LISST – CIEU Université Toulouse II – Jean Jaurès
À l’origine, la mission principale de l’Association CRICAO était d’accompagner la professionnalisation d’artistes originaires d’Afrique de l’Ouest. Progressivement, les rencontres et les ressources de la ville de Toulouse ont fait évoluer ses actions selon une double logique. D’une part un ancrage dans les quartiers toulousains mobilisant artistes et habitants, d’autre part une inscription des projets dans des réseaux et partenariats européens. Entretien avec le responsable d’une association qui jongle avec les échelles pour enrichir ses actions artistiques et son implication sociale, entre quartiers, métropole toulousaine et Europe.
Mariette Sibertin-Blanc : Les réalités urbaines semblent toujours inspirer vos initiatives, y compris avec les évolutions de vos activités. Est-ce une volonté ?
Stéphane Robert : Oui, dès le départ, le travail que nous menions avec des artistes musiciens venant du Mali ou du Sénégal valorisait leur sensibilité et le rapport au territoire, grâce aux traditions des griots par exemple. À l’occasion de nos dix ans, nous avons souhaité être plus en prise avec un quartier pour mobiliser davantage autour des propositions artistiques et toucher les gens dans leur diversité, notamment en s’inspirant de la problématique des lieux. Le quartier Saint-Cyprien était très adapté. Les artistes que nous soutenions ont touché facilement un large public et nous avons réussi à travailler avec les commerçants, à investir les espaces publics comme la Place Olivier, à impliquer de plus en plus les habitants et d’autres associations. En particulier, la fête du quartier est un moment important de cette implantation locale.
Désormais, nous travaillons toujours à Saint-Cyprien, mais aussi dans d’autres quartiers (Bagatelle, Papus, Bordelongue, etc.) et à des échelles beaucoup plus larges qui impliquent des partenariats avec des villes en Espagne, en Turquie… ou en voisins avec la Direction de la Culture de Colomiers. Ces actions à différentes échelles s’enrichissent mutuellement. Nous sommes très inspirés par le concept de « créolisation » d’Édouard Glissant valorisant le résultat imprévisible né de la rencontre des cultures ainsi que par celui de « l’identité relation » (ou « identité rhizome ») plutôt que d’identité racine.
Le substrat toulousain est-il singulier ?
De fait, Toulouse accueille de nombreux artistes d’origines multiples. Par exemple, les artistes africains se sentent bien ici. Il y a une douceur de vivre, des interactions entre communautés qui sont faciles et qui représentent un certain confort. À Paris au contraire, la compétition est très dure, tout y est très cher et les projets sont plus difficiles à monter. Par exemple, l’artiste Bakh Yaye a enregistré un album Toulouse Dakar qui a bénéficié d’un double enregistrement ici et à Dakar, un beau succès ! Mais, à l’image de ce qui se passe à l’échelle nationale, certaines tensions deviennent plus perceptibles. Elles sont parfois très vives par exemple autour de la laïcité ! On le constate aussi dans des discours de plus en plus tranchés sur les commerces de la rue de la République. Dans ce sens, la reconnaissance des droits culturels, en particulier dans la loi NOTR e, ouvre une perspective très prometteuse et conforte la nécessaire pluralité culturelle 1.
Précisément, les droits culturels s’appuient sur une vision ouverte de la culture, dans sa dimension à la fois artistique et plus anthropologique. Vos actions y puisent-elles de l’inspiration ?
Les projets d’envergure européenne permettent de sortir de l’approche française de la culture qui est très institutionnelle. Dans de nombreux pays, ce qu’impliquent les droits culturels est totalement intégré. Les idées se diffusent, c’est un discours qui est présent chez les acteurs de la politique de la ville et désormais également de plus en plus au sein de la Direction Régionale des Affaires Culturelles. L’Union Européenne et les réseaux internationaux apportent des cadres et des références qui font confiance à la société civile, ce qui conforte nos actions (par exemple le projet Tandem Turkey), et apportent des subventions qui peuvent parfois faire défaut localement.
En définitive, l’action culturelle contribue-t-elle pleinement au développement urbain ?
Dans le contexte actuel, il est important d’investir des problématiques sociales, civiques et de développer des projets artistiques qui partent de ce que vivent les gens. Cela demande beaucoup de temps de préparation, de repérage, de rencontres. Dans ce sens, nous assurons des formations pour les services civiques qui permettent d’investir un quartier et de s’appuyer sur la diversité de ses acteurs (culturels, sociaux, économiques) afin de valoriser le développement territorial en passant par l’implication citoyenne à l’échelle locale. Une autre action phare de CRICA O est Katchakatcha 2 (photo). Il s’agit de croiser les savoirs et savoir-faire culinaires des habitants. Nous avons par exemple organisé un événement à la Reynerie ou encore plus récemment une balade sonore et gustative à travers plusieurs quartiers, Le goût des voix. Autre exemple, le croisement d’ateliers de cuisine et de scénographie culinaire mené par une plasticienne-chercheuse (Delphine Talbot) et une designeuse culinaire (Oriane Deshouières) a créé des moments magnifiques d’échanges. C’était beau ! À partir des pratiques des gens, nous alimentons des actions visant l’ouverture au monde. Le prochain Katchakatcha aura lieu en collaboration avec Gaziantep, ville Turque à 65 km de la frontière syrienne, qui accueille un grand nombre de réfugiés.
2.Katchakatcha est une expression utilisée au Japon pour définir le bruit fait par l’entrechoquement des couverts lors d’un repas.
photo mise en avant © T. Husson
Contenu additionnel :
Association CRICAO :